La commission de l'Union Africaine a lancé ce mercredi 28 Mai 2014 à son Siège à Addis Ababa la campagne pour l'élimination du mariage des enfants. A cette occasion, les Directeurs du Bureau Régional de l'UNFPA pour l'Afrique de l'Ouest et du Centre Monsieur Benoît Kalassa et du Bureau Régional pour l'Afrique du Sud et de l'Est Madame Julitta Onanbanjo ainsi que celui du Bureau Régional pour l'Afrique du Nord et les États Arabes Monsieur Mohamed Abdel-Ahad ont signé une Tribune
TRIBUNE
Mettre fin au mariage des enfants en Afrique sans plus attendre. Voici pourquoi
Tout juste âgée de 17 ans et déjà mère de deux enfants, Clarisse vit avec son mari et ses quatre autres femmes dans la région rurale du sud du Tchad. Trois ans plus tôt, elle avait vu sa mère et ses sœurs faire la cuisine pour une fête. Au début, elle avait fait la fête avec tout le monde, sans se rendre compte qu’il s’agissait de sa propre cérémonie de mariage. Quand elle l’a découvert, elle était dans tous ses états.
"J'ai essayé de m'échapper, mais j’ai été rattrapée. Je me suis retrouvée avec un mari trois fois plus âgé que moi ... C’en était fini avec l'école, tout simplement. Dix mois plus tard, j’avais un bébé dans les bras", dit-elle.
Clarisse est l'une de ces millions de filles dans le monde, et particulièrement en Afrique, qui sont mariées chaque année. Beaucoup d'entre elles le sont dès l'âge de huit ans, souvent avec des hommes beaucoup plus âgés.
Dans le monde en général, une fille sur trois est mariée avant l'âge de 18 ans et une sur neuf à 15 ans dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Selon les estimations, chaque année, plus de 15,1 millions de filles deviendront des épouses, si cette tendance se poursuit.
Sur les 41 pays du monde qui présentent un taux de prévalence du mariage des enfants de 30 pour cent ou plus, 30 sont situés en Afrique. Cette pratique est plus grave en Afrique de l'Ouest où deux femmes sur cinq sont mariées avant l’âge de18 ans, et une femme sur six est déjà mariée avant d’atteint l’âge de 15 ans.
Plusieurs croyances et normes sociales, culturelles, religieuses et traditionnelles alimentent la continuation du mariage des enfants en Afrique.
La dimension économique est un ressort supplémentaire de cette pratique. Pour de nombreuses familles vivant dans la pauvreté, le mariage des enfants est une source de revenus et donc une stratégie de survie économique.
Les conséquences du mariage des enfants
Quels que soient les facteurs et les justifications invoqués, le mariage des enfants a des conséquences graves et préjudiciables sur nos filles et sur la société en général. Il compromet la santé et l'éducation des filles, ainsi que les possibilités de réalisation de leur potentiel.
De nombreuses «enfants épouses » sont exposées à des grossesses et à des accouchements répétés avant d’être physiquement et psychologiquement prêtes.
Au Soudan, Awatif, aujourd’hui âgée de 24 ans, a été mariée à 14 ans alors qu’elle était encore élève. Elle a quitté l'école au cours moyen, contre sa volonté, et est immédiatement tombée enceinte. " J’ai passé plusieurs jours d’accouchement prolongé et entravé à la maison ; j’avais mal et j'ai pensé que j'allais mourir. Ma famille m'a emmenée à l'hôpital pour obtenir de l'aide. J'ai survécu mais pas mon fils, et j'ai contracté la fistule obstétricale", dit-elle. En conséquence, son mari l’a abandonnée et a divorcé.
Le Directeur exécutif de l’UNFPA, Dr Babatunde Osotimehin, a déclaré ce qui suit : «aucune société ne peut se permettre les occasions perdues, le gaspillage de talents ou l'exploitation personnelle que le mariage des enfants entraîne. "
Le mariage des enfants peut être contesté
Le mariage des enfants est une question de droits humains et de santé publique qui ne peut que donner lieu à des contestations. Tout d'abord, il s'agit d'une violation des instruments des droits humains comme la Convention relative aux droits de l'enfant et la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant.
C’est donc pour les décideurs politiques du continent une obligation de protéger les droits des filles que leurs gouvernements se sont engagés à respecter. D’où la responsabilité de mettre un terme au mariage des enfants.
Pour mettre fin à cette pratique, il faut agir à tous les niveaux pour changer les normes sociales néfastes et autonomiser les filles. Plus précisément, les gouvernements, la société civile, les autorités communautaires et les familles, à qui cette question tient à cœur, doivent, avec le soutien des communautés, penser à faire promulguer et appliquer des lois sur l'âge minimum du mariage.
Mettre fin au mariage des enfants permettrait, non seulement de protéger les droits des filles, mais contribuerait également à réduire la prévalence des grossesses chez les adolescentes. La tolérance zéro pour le mariage des enfants devrait être notre objectif. L'adoption de lois interdisant le mariage des enfants est un premier pas dans la bonne direction - mais à moins que ces lois ne soient appliquées et soutenues par les communautés, leur impact sera négligeable.
De grands efforts produisant des résultats prometteurs sont déployés à travers le continent pour contester le statu quo en ce qui concerne cette pratique néfaste. Nous avons été témoins de bonnes pratiques telles que les « écoles des maris » au Niger et les initiatives au profit des adolescentes dans de nombreux pays africains.
Au Mozambique, l'initiative connue sous le nom de « Forum des filles » a fourni une plate-forme permettant aux filles d’améliorer leur pouvoir de décision, d'accroître leur sentiment d'autonomie et de mieux comprendre les questions liées au mariage et à la santé sexuelle et de la reproduction.
L'éducation n'est pas seulement la clé permettant de libérer le potentiel des filles ; elle contribue également à retarder leur mariage à travers le continent. Des études ont établi que les filles ayant un niveau d'éducation faible sont plus susceptibles d'être mariées tôt, tandis que celles qui ont étudié jusqu’au secondaire sont jusqu'à six fois moins susceptibles de se marier alors qu’elles sont encore enfants.
L'éducation obligatoire pour tous, en particulier pour les filles, constitue par conséquent une intervention clé à mettre en pratique par les décideurs.
L'Union africaine et la campagne visant à mettre fin au mariage des enfants
Le continent a connu un regain d’engagement politique de la part de la Présidente de la Commission de l'Union africaine, Dr Nkosazana Dlamini-Zuma, pour s’attaquer au problème du mariage des enfants. " Nous devons en finir avec le mariage des enfants", dit-elle. " Les filles qui se retrouvent mariées à un âge tendre sont forcées d’avoir des enfants alors qu'elles sont encore elles-mêmes des enfants". Cet engagement se traduit concrètement par le lancement d'une nouvelle campagne pour mettre fin au mariage des enfants en Afrique.
Les objectifs généraux de la campagne sont les suivants : ( i ) mettre fin au mariage des enfants en soutenant la politique et l'action dans la protection et la promotion des droits de l'homme ; ( ii ) mobiliser la conscience continentale sur le mariage des enfants ; ( iii ) éliminer les obstacles et les goulots d'étranglement dans l'application de la loi ; ( iv ) déterminer l'impact socio-économique du mariage des enfants ; et (v ) renforcer la capacité des acteurs non étatiques à engager un dialogue et un plaidoyer politiques sur la base de données probantes.
Unissons-nous dans l’engagement à amener les filles à réaliser leur potentiel
L’UNFPA estime que la campagne de l'Union africaine visant à mettre fin au mariage des enfants représente un tournant dans le combat mené en Afrique dans ce domaine. Nous ne devons plus tolérer que des enfants deviennent des épouses. Le moment est venu pour nous de nous engager à veiller à ce que nos filles puissent réaliser leur plein potentiel.
Le continent africain a trop longtemps toléré le mariage des enfants, sur la base d’un éventail de justifications et d’arguments mal conçus. Mais nos jeunes filles, qui ont porté le poids de cette pratique préjudiciable jusqu’à ce jour sont impatientes de la voir bannie à jamais. Le mariage des enfants doit cesser. Aujourd’hui et non demain.
Julitta Onabanjo, Directrice régionale de l’UNFPA pour l’Afrique de l’Est et australe
Benoît Kalasa, Directeur régional de l’UNFPA pour l’Afrique de l'Ouest et du Centre
Mohamed Abdel-Ahad, Directeur régional de l’UNFPA pour l’Afrique du Nord et les Etats arabes