Jeannette, une jeune dame pleine de vie de 25 ans, originaire de la ville de Koumra, Chef-lieu de la Province du Mandoul au sud du pays. Nous l’avons rencontrée le 25 novembre 2022, le jour de la célébration de la journée internationale de lutte contre les violences faites à la femme et à la jeune fille au Centre Intégré de Service Multisectoriel de prise en charge des violences basées sur le genre de l’Hôpital notre Dame des Apôtres de N’Djamena. Elle a accepté de nous parler de son histoire, de son parcours. Un témoignage selon elle
pour montrer que les violences faites à la femme sont une réalité ».
Jeannette, une enfance troublée par le mariage à 14 ans et le veuvage à 20 ans
J’ai été mariée à l’âge de 14 ans. Je ne savais pas ce que c’est que le mariage et la vie conjugale ».
Pendant, qu’elle menait tranquillement sa vie d’enfant dans la ville de Koumra, elle est donnée en mariage. Elle qui ne connaissait rien de la vie au foyer a été obligée de tout apprendre alors qu’elle était encore un enfant.
Lorsque je suis tombée enceinte, je ne savais pas car j’étais très jeune ».
Jeannette après trois ans de mariage est tombée enceinte à 17 ans. Aujourd’hui, elle est mère d’un enfant de 8 ans. Son mari est décédé, quand l’enfant né de leur union n’avait que trois ans. Elle a dû apprendre à se
débrouiller pour subvenir aux besoins de son enfant et d’elle-même. Je vendais du « bili-bili »,
une boisson alcoolisée locale qu’elle préparait elle-même. C’est pendant qu’elle vendait cette boisson et que son esprit se rétablissait après la disparition de son jeune époux qu’elle rencontre un homme venu de N’Djamena qui au bout du temps allait être son bourreau.
Jeannette au CISM notre dame des apôtres
A notre arrivée au CISM, elle échangeait avec la psychologue et nous n’avons pas pu imaginer que c’est la survivante qui nous attendait pour un échange. En effet, Jeannette, le regard vif et confiant pour son avenir échangeait avec la psychologue du CISM Madame Nguetobaye. Ce centre dont la mise en place a été appuyée par trois agences des nations unies que sont UNFPA, le PNUD et l’UNICEF en collaboration avec le gouvernement Tchadien et l’Eglise catholique. Ce centre, depuis sa mise en place ne désempli pas car il accueille en moyenne 4 nouveaux cas des VBG par semaine alors que les anciennes survivantes continuent à fréquenter le centre pour leur prise en charge holistique et leur bien-être.
Les violences basées sur le genre (VBG) sont répandues dans le monde car plus d’une femme sur trois en a déjà été victime. Le Tchad ne fait pas exception. En effet, les violences basées sur le genre sont un problème omniprésent dans les communautés. L’Enquête Démographique et de Santé et à Indicateurs Multiples au Tchad (EDST-MICS) sur la période 2014-2015 montrent que 23 % des filles sont mariées avant l'âge de 15 ans et 65 % avant 18 ans. Également, une femme sur trois déclare être victime de violence physique et 12 % des femmes subissent des violences sexuelles chaque année. Le Représentant de UNFPA au Tchad, Docteur Sennen Hounton, s’exprimant sur la situation des VBG au Tchad dira
Ici dans notre pays, 2 femmes sur 3 sont encore mariées précocement avant l’âge de 18 ans. C’est inacceptable, c’est une forme de violence faite aux femmes. Ensemble avec les partenaires nous sommes en train de mettre des services holistiques de prise en charge de toutes les formes de violences faites aux femmes et aux jeunes filles. »
C’est dans ce cadre que le CISM de l’Hôpital notre Dame des Apôtres ainsi que trois autres hôpitaux : hôpital Amitié Tchad-Chine, Hôpital Mère et Enfant et le Bon Samaritain ont été mis en place à N'Djaména pour faire face à cette situation. Ces CISM, offrent une prise en charge holistique à travers 4 guichets : prise en charge sanitaire, juridique, psychosociale et la réinsertion socio-économique. Au CISM notre Dames des Apôtres, Jeannette a pu bénéficier de 3 des 4 services. Il ne lui reste que la réinsertion sociale.
Jeanette la suvivante
Jeannette est arrivé, un jour d’octobre au CISM l’Hôpital Notre Dame des Apôtres, le
visage complètement tuméfié et ensanglanté »,
selon la psychologue qui l’a reçu. Elle ne pouvait pas parler parce qu’elle passait tout son temps à pleurer de douleur selon la ppsychologue Madame Nguetobaye.
En effet, Jeannette a été violemment battue pas son mari parce que simplement elle demandait à son conjoint de la mettre dans de meilleures conditions de vie en lui trouvant une chambre. Elle avait quitté quelques mois auparavant Koumta pour se rendre à N’Djamena avec son conjoint, un travailleur du bâtiment qui s’était rendu dans cette localité pour des travaux. C’est là que ce dernier a rencontré Jeannette. Après des bons moments passés ensemble à Koumra, ils décidèrent de s’installer à N’Djamena. Une fois à N’Djamena, le rêve de Jeannette de trouver un eldorado s’effondre et tourne au cauchemar. En effet, à son étonnement, elle découvre que son conjoint est déjà marié avec des enfants. La situation s’empire lorsqu’elle demande que le conjoint lui trouve une maison d’habitation car les premiers jours, elle partageait la même chambre avec sa coépouse, les enfants et le mari. Une pièce étroite qui ne dépassait pas une superficie de 10m2. La vie était difficile, au manque d’espace vient s’ajouter le manque de moyen pour se nourrir. C’est dans ce contexte que Jeannette demande à son conjoint de lui trouver une chambre à part. Ce qui était suffisant pour déclencher la colère du Monsieur qui se met à rouer cette dernière de coups violents. Ce sont ces coups qui amènent Jeannette au CISM ; le corps endolori et les yeux complétement ensanglantés.
La situation décrite par la psychologue montre que la pente a été difficile à remonter pour Jeannette.
Nous avons eu plusieurs séances. Cela l’a aidé à comprendre sa situation et à se donner une raison pour se reconstruire ».
Avec le travail fait par la psychologue, c’est une femme qui semble désormais épanouit que nous avons rencontré au CISM.
Le règlement à l’amiable la voix privilégiée au Tchad
L’accompagnement apporté à Jeannette lui a permis de bénéficier d’une prise en charge médicale, d’une prise en charge psychologique. Pour ce qui concerne la prise en charge juridique. Elle a eu des échanges avec le Juriste du centre qui lui a proposé les options possibles dont la poursuite judiciaire. Jeannette, pour plusieurs raisons a décidé de ne pas poursuivre son mari, en l’occurrence l’auteur, devant les juridictions.
Je ne veux pas le poursuivre. La seule chose que je veux, c’est qu’il me donne des ressources pour repartir à Koumra et reprendre mon commerce de bili-bili ».
Les échanges avec le juriste du centre, nous montre qu’elles sont nombreuses les femmes et filles qui déclinent d’engager des poursuites judiciaires, préférant les arrangements à l’amiable. Selon plusieurs informations recueillies, ce choix est guidé par plusieurs raisons liées au contexte social qui fait qu’il faut éviter que beaucoup de personnes « sachent le problème. »
De Janvier à Octobre 2022, au Tchad, c’est au total 2 865 cas de violences basées sur le genre (VBG) qui ont été rapportés par le Gender-Based Violence Information Management System (GBVIMS), dont 11,41% de violence sexuelle. Cette situation nécessite le renforcement des mesures de prévention mais également une réponse appropriée. C’est dans cette dynamique que se situe UNFPA avec les appuis apportés au Ministère du genre et de la solidarité nationale et en assurant le leadership du sous-cluster VBG. Ces actions en cours méritent de se poursuivre et se renforcer pour aboutir à zéro cas de VBG au Tchad.